Interview de Hervé Legeay



Qu’est ce qui t’a donné envie de jouer de la guitare ?

Les Beatles ! C’est le premier truc que je me suis acheté, les 4 titres des Beatles, avec « Nowhere man » etc. …

Quel a été ton premier concert ?

Le premier concert de rock c’était les « Who », le premier gros concert je veux dire … et après les « Pink Floyd ». Mais j’avais vu des autres trucs avant, en fait mon tout premier concert de rock c’était « Gong », celui du premier album, « Magic brother, mystic sister ».

Quel est le dernier album que tu as acheté ?

Je me demande si c’est pas « Feist » …

Quel est le dernier concert que tu sois allé voir ?

Bénabar au Zénith, c’était génial !

Quelle serait la chanson qui te représente le mieux ?

Ho la vache j’ai jamais pensé à ça … J’aurai du mal à dire, faudrait que je réfléchisse longtemps … je ne vois pas dans laquelle je me reconnais le plus, enfin comme ça là …

Avec qui aimerais tu de jouer ? Un rêve … même irréalisable ?

Tu sais j’ai pas joué avec grand monde … Tous les mecs avec qui j’aimerais jouer de la gratte sont trop bons tous seuls, donc ça servirai à rien qu’il y ai un deuxième ! Donc c’est vachement difficile à dire … Mais mon vrai rêve alors ce serai de jouer deux morceaux avec les « Rolling Stones », un morceau avec Brian Setzer des « Stray Cats » et … et pis c’est tout, le reste je m’en branle ! En tous les cas mon rêve ce serai de jouer avec un groupe de rock. Si j’avais des rêves … ils seraient dans le rock quoi … Le Jazz … je suis pas assez jazzman pour avoir à espérer quoi que ce soit du jazz. Ils se feraient chier les mecs, alors qu’avec les autres on pourrait s’éclater.

Et les Stones et Setzer, tu ne les as jamais rencontré ?

Les Stones non … mais un jour je croiserai Keith Richards. Je sais pas pourquoi mais je le sens. Tous les mecs que j’ai rêvé de voir je les ai vu ou j’ai fait leur première partie. A chaque fois ça marchait. A l’époque je rêvais de rencontrer Bowie et je l’ai vu plein de fois. J’ai toujours rêvé de voir Iggy Pop et j’ai fait sa première partie. Pareil je rêvais de rencontrer les « Ramones » et j’ai fait leur première partie à l’Olympia. Quant à Brian Setzer, je rêvais de le voir et je l’ai rencontré une fois avec le gratteux de « Gun’s N’Roses » … non, pas Slash, le premier : Izzy Stradlin, le meilleur. Enfin, il est pas meilleur guitariste je veux dire, mais il est meilleur compositeur, c’est lui qui a fait toutes les supers compos dans « Appetite for destruction ». Moi je suis un fan des « Gun’s N’ Roses », c’est un super groupe !

Pour faire simple, on va remonter le temps pour comprendre le cheminement que tu as fais si tu veux bien … Alors parles nous de ton premier groupe …

Oh le premier j’avais 12 ans ! Et après tu vois moi en fait j’étais en province, à Angers. Et le truc c’est que j’ai fait vachement de balluches dès l’âge de 13 ans. Dans les années 70 ça n’existait pas les structures rock et tout ça … Y’avait que Little Bob (Robert Piazza, NDLR) qui faisait du rock, Paul Personne et tous ces mecs là … Si tu veux en fait y’avait pas de circuit rock !!!

Ben il y avait quand même le circuit des MJC qui existait, quand les municipalités étaient cool ça aidait plein de groupes à tourner et a démarrer quand même … comme Vander (Magma), ils ont fait que ça pendant des années !

Oui c’est vrai y’avait les MJC … Mais Vander c’est l’exemple !!! Et en fait il y avait des avantages et des désavantages ! La non professionnalisation c’était cool. La professionnalisation du rock après ça a amené des avantages, comme le confort des tournées etc. … Mais, sans être passéiste c’est pas mon truc, le désavantage c’est que c’est moins créatif, c’est moins le bordel, faut obéir à des règles administratives etc. … Mais bon quand même c’était dur. On était encore dans la vieille France à papa, pas tellement pluriculturelle, un peu balluche, bal musette tout ça … Et maintenant y’a l’effet inverse, le comité des fêtes c’est des vieux cons maqués avec … enfin … c’est autre chose. C’est une autre manière d’être con quoi, une nouvelle forme de connerie, la connerie « Branchée » … Mais le folklore reste le même, c’est encore bien franchouille … et pourtant la vieille France je l’ai connue tu sais, j’étais ado dans les années 70 …

C’est sûr … et dans tout ça alors, ton premier groupe ?

Ben le premier groupe qui ait vraiment marché c’était un groupe qui s’appelait « Les Nights » (1981), à Angers, j’avais 25 ans. Parce qu’avant j’avais fait plein de trucs, j’ai été choriste d’opéra, je faisais de la guitare classique, du free jazz, enfin je faisais pas de rock … Ah si ça me revient ! Avant les Nights j’avais un groupe qui s’appelait « Toboggans » … c’était pas mal ça … Enfin bref, c’est « Les Nights » le premier groupe avec des 45 tours et tout ça … Et d’ailleurs le 45T des Nights (« Live in a song ») a eu une carrière vachement marrante ! En fait Coluche avait une émission avec Maryse, la femme de Gildas, le matin sur Europe1. Et apparemment il adorait ce disque. Mais moi je le savais pas, j’écoutais pas la radio ! Et un jour j’ai reçu des droits d’auteurs trop balèzes pour un petit 45T comme ça … et je voyais écrit « Europe1, Europe1, Europe1 … » Je comprenais pas, alors j’ai demandé et on m’a expliqué. C’est comme ça que j’ai appris qu’en fait Coluche le passait tous les matins … c’est marrant !

Et ça c’est fini comment les Nights ?

Ben ça s’est fini parce que je me suis cassé à Paris en fait. Je jouais avec Mickey, (Mickey Blow, NDLR), avant il était souvent en première partie de « Téléphone ». C’est un personnage incroyable, vous l’avez peut être croisé, avec un look incroyable, avec des têtes de morts etc. … il joue dans un groupe : les « Belleville Cats », un groupe génial, complètement destroy … Il a joué avec tout le monde, entre autre avec Johnny Thunder. Je l’ai vachement connu Thunder parce que quand il venait jouer au Gibus, nous on habitait rue du Faubourg du Temple et il venait dormir chez nous. On traînait vachement avec tous ces mecs … mais ils sont tous morts … Les mecs des « Lords », pleins d’américains qui habitaient à Paris, mais très destroys etc. … Et moi j’ai rencontré toute cette bande là … Enfin voilà, les Nights se sont cassé la gueule parce que je suis parti à Paris …

LES NIGHTS

Et après t’as enchaîné tout de suite avec les Stepping Stones ?

Oui. Parce que j’étais assez branché avec Little Bob et tout ça … Et Little Bob il changeait pour les américains, et comme moi j’étais toujours fourré avec eux, du coup j’ai enchaîné tout de suite avec les Stepping. J’habitais dans un squatt en arrivant d’Angers, j’avais envie de faire du rock, du métal. Avec les Stepping Stones on a fait deux albums et pleins de compil’ étrangères, Finlande etc. … Le deuxième, « End Of Fun » on le trouve encore mais difficilement. En plus en 10 ans j’ai fait genre trente ou quarante albums avec des gens qui n’avaient rien à voir, c’était épanouissant musicalement. Mais moi je cours pas, je provoque pas grand-chose, je me laisse porter, j’attends que les choses viennent à moi. Je suis peut être lâche de ce côté-là … même quand il y a des événements à choisir j’attends. Je suis plutôt fataliste…

On en était aux Stepping Stones, ça c’est passé comment ?

En fait j’avais été en trio avant, puis j’ai joué avec mon pote Gilles Mallet, qui est toujours avec Bob depuis 25 ans, et puis avec Banet’ (des Stepping), un mec génial … Avec les Stepping Stones ont a vachement joué, à New York etc. …

Le groupe s’est créé en France, comment vous êtes arrivés a New York ?

Grâce à un tourneur … En fait nous on jouait souvent à la Locomotive, du temps où il y avait des supers soirées métal, et il y avait cet agent américain, ce tourneur. Et on s’était branché aussi avec le French Music Office qui est à New York et qui faisait tourner la Mano Negra … Et en fait on a fait une tournée uniquement à New York, c’est incroyable. On s’est fait pleins de potes, les mecs de « Hanoi Rocks », tous les anciens mecs de Johnny Thunder etc. … Tous les mecs que j’avais sur mes pochettes de disques je les rencontrais, c’était dingue. On était potes avec tous les mecs sur lesquels on flashait, ça démystifiait un peu le truc … On était un peu destroys nous là bas …

Et au niveau ventes, concerts etc. … c’était comment ?

Ha non bof … Trop confidentiel, trop mal distribués là-bas etc. … C’était vraiment le trip rock n’roll, et pis on s’en branlait en plus ! En 10 ans tout a tellement changé dans le circuit c’est fou ! Tu vois des fois quand je vais jouer au Chabada ou dans des petites villes, les directeurs de salles me disent : « Hervé tu te rappelles des plans que vous vous faisiez ? » …. Ben les groupes de rock de maintenant ils te croient pas ! Parce qu’on foutait le feu, on pétait des trucs, enfin je sais pas moi … des conneries … on était des mômes de 35 ans en fait ! Et les autres groupes de rock c’était pareil. Maintenant c’est plus possible, la maison de disque elle hurlerai, genre t’es viré, t’as intérêt à être sage etc. … Faut avoir un look de ouf mais pas le reste qui va avec ! Mais bon, ça c’est un autre débat …


Avec les Stepping Stones une fois a New York vous vous êtes retrouvé comment en première partie de Bowie et Iggy Pop ?

On connaissait l’agent de Bowie et d’Iggy Pop en France, c’était aussi l’agent de Paul Personne, à Canal Production. Et donc voilà il nous a proposé ça. C’était toute une bande, un réseau de potes en fait …

Ok merci ! Alors après on a un trou niveau infos entre les Stepping et Romane !

C’est un peu normal, j’ai rien fait … C’était la galère. De retour en France j’ai monté un groupe avec Gillou Mallet le batteur de Little Bob … et alors là on a ramé grave. Le rock ça intéressait plus personne. Et après j’ai fait des duos acoustiques avec ma guitare genre manouche/rock …

Et justement l’envie de jouer de la gratte manouche t’est venue comment ?

Ben j’ai toujours aimé ça, depuis que je suis gamin. J’ai toujours mélangé. Tu vois j’achetais Aérosmith et les frères Ferré, Boulou et Elios. J’ai toujours écouté des zics différentes … genre Django et le requiem de Mozart … j’aime passer d’un truc à l’autre. Et pis en fait j’en avais marre du rock, j’étais fatigué, un peu dépressif, crevé … Donc à partir de là, manouche au taquet. Je me suis foutu au RMI, j’ai pas payé mes dettes, je me suis planqué et j’ai fait 8 heures de gratte par jour. Tous les dimanches j’étais au 122 rue des Rosiers chez les gitans, à la Chope des Puces. J’ai fais ça pendant un ou deux ans. Et c’est là bas que j’ai connu Romane. Il m’a dit « Viens me voir », et j’ai pris des cours avec lui. Mais lui aussi je savais que je le rencontrerai. Je me rappelle, j’avais pas d’appart’, j’étais à la rue et j’ai étudié sa première méthode de guitare sur un banc aux Halles … J’ai ouvert le bouquin et j’ai trouvé ça génial … Et donc après je l’ai rencontré, il m’a donné des cours et je l’ai arnaqué. En fait je payais pas les cours à l’école ATLA … Mais après il m’a dit : « Allé, on annule la dette, je te prend comme assistant en rock et moi je te file des cours de gratte manouche », ça c’est passé comme ça. Pis un an après c’est devenu une des plus grandes écoles de Paris, balèze, plus du tout celle que j’avais arnaqué quand il y avait quarante élèves ! Donc j’ai été prof là-bas … et j’ai fait des albums avec des gens incroyables !

J’ai trouvé sur Internet une petite interview de Romane où il parle joliment de toi :

« J'ai toujours aimé enseigner et voir de nouveaux talents éclore et enseigner à leur tour, comme une chaîne d'amitié infinie. Un de mes élèves de l'Ecole Atla, Hervé Legeay, est un exemple typique de renversement d'orientation musicale. Il vient de la vague rock-punk. Très vite tombé dans le chaudron du jazz manouche, il a collaboré à différentes formations puis a crée son propre groupe, Merco Swing. Désormais, c'est un musicien reconnu et accompagne le chanteur français, Sanseverino. »

Oui … Ben Romane il m’a connu très rock n’roll … J’étais son guitariste pendant quatre ans, c’est un mec génial, on a fait des albums, dont « Samois sur Seine ». Et tu sais la photo de la pochette a été faite à Jérusalem … incroyable … on a failli se faire virer !

J’ai aussi trouvé pas mal d’articles sur la guitare que tu as écrit, tu peux nous en parler ?

Oui, j’étais rédacteur en chef d’un canard de gratte qui s'appelait "French Guitare" … et figure toi que dans mes rédacteurs il y avait Sanseverino. Il y a même une couverture avec Sergio de « Noir Désir » et en dessous c’est écrit : « Sergio, l’interview par Stéphane Sanseverino » !!!

Et tu continues à écrire ?

Non … non, c'est Romane qui a monté ça, puis on l'a rejoins avec Thomas Dutronc et je sais plus qui. Et pis en fait ça a marché. Pas financièrement, mais on était vendu en kiosque et tout … c’était comme un fanzine amélioré, un fanzine NMPP j’appelais ça !! (NMPP : Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne, maison de presse et d’édition. NDLR) En fait si tu veux, tout le délire qu’il y a sur la gratte manouche en ce moment (je ne veux pas dire qu’on est les propulseurs attention !), ben le fait qu’on monte un canard qui en parlait vachement, ça a sorti le truc du ghetto. Et après il y a eu une logique … c'est-à-dire Sanseverino etc. … Mais c’est vrai qu’avec Romane on était au début de cette espèce de mode, d’engouement. Enfin moi j’y étais pas complètement au début. Ce que je veux dire c’est qu’au point de vue médiatique j’estime qu’avec toute cette bande là on a fait un taf monstrueux. D’ailleurs y’a plein de manouches qui nous remercient. Mais on en tire aucune gloriolle tu sais, c’est juste un constat. C'est-à-dire aussi que tous les gens qui étaient là à ce moment, ben maintenant ils sont en place …

Tu parlais d’albums avec des gens incroyables, j’ai trouvé sur le net ta participation sur le dernier album de Francis Lemarque …

C’était génial, fantastique. C’était son dernier album, malheureusement il est mort peu après. Super arrangé, avec des cordes et tout … on l’a fait en Allemagne en deux jours. Y’a une super photo de moi dedans en plus !!! (Mdr) Avec lui et tout … C’était un mec formidable qui a eu une vie incroyable! Mais attends, moi je connaissais pas ! C’est l’époque de mon père … Un jour je rentre à la maison et je dis à ma femme que j’ai passé une audition pour un vieux … Lemarque. Alors elle m’a passé l’album. Et entre temps tu vois le guitariste c’était Henri Crolla, je suis devenu copain avec sa femme et je jouais sur la guitare de Crolla … Alors après je me suis lancé dans la chanson française et j’ai connu tous les vieux … Ferrat etc. … Tous d’un seul coup, Lemarque ça a tout déclenché ! Après j’ai rencontré un mec qui s’appelle Pierre Barouh , c’est un mec génial, il a lancé Higelin, Maurane etc … C’est le mec qui fait « Chabadabada » (film « Un homme et une femme », NDLR) … mari d’Anouk Aimé, tout ça … ben maintenant c’est un super pote, grâce à Lemarque. Et l’arrangeur c’était Romain Didier, en fait il m’a appelé et il m’a dit qu’il avait eu mon numéro par l’accordéoniste de Reggiani, un pote à moi qui s’appelle Thierry Rock, le frangin de l’accordéoniste de Renaud, bref il me parle de l’audition. Et moi je refuse, je lui dis que je suis trop nul, qu’il faut qu’il demande à Romane etc. … Mais en fait ils avaient besoin d’un lecteur, et moi je lis vachement bien la musique. J’avais beau dire non, il insistait pour que je passe l’audition. C’était au début que je faisais du manouche, donc j’avais pas tellement confiance en moi, mais bon, j’y suis allé. Pis après tout a été génial, j’ai rencontré des gens géniaux, entre autre Benoît Nicolas, un des contrebassistes solo de l’orchestre de Lyon, qui joue sur les albums de Sanseverino d’ailleurs … Et ensuite j’ai joué avec Romane, avec Rosenberg … j’ai fait pleins de trucs.

Oui d’ailleurs j’ai trouvé sur Internet des photos et un morceau en écoute d’une troupe, « Les Primitifs » en 2002, mais c’est pas très bien expliqué, tu peux nous en parler ?

Oui c’est un collectif qui a été monté par Dominique Cravic, qui a été le gratteux de Salvador, c’est des passionnés. Y’a plein de monde là dedans : Raoul Barbosa, Marc-Edouard Nabe … On était 28, la « star » du groupe c’était Robert Crumb, qui fait du banjo. C’est le mec qui a fait les pochettes des albums de Janis Joplin et de Hendrix. Il vit à San Fransisco, en fait c’était un des papes de la contre culture là-bas, c’est un génie ! Le truc c’est que Robert Crumb était à ce moment là président du jury du Festival de la BD d’Angoulême, et nous on jouait à Angoulême … et voilà. Avec eux je n’ai participé qu’au dernier album, avec plein d’autres gens comme je te disais : des mecs de l’orchestre national de Barbès, Thomas Dutronc aussi, Jean-Jacques Milteau à l’harmonica … tout le monde. C’est de la world/musette. L’album s’appelle « C’est la goutte qui fait déborder la valse », c’est un pur chef d’œuvre, mélange gratte manouche, derboukas, valse etc. …. C’est un hommage à la rue Fontaine et à la Goutte d’Or, où la world musique a vraiment été inventée dans les années 30. Le mélange entre les italiens, les bougnats, les cubains, les orchestres andalous de Tanger, les arabes et tout ça … c’est génial. Et les Primitifs sont parti de ce mélange là. Mais moi je suis vraiment une pièce rapportée à ce truc là, j’en suis pas à l’origine.

Les Primitifs, Tarbes 2002.

Encore d’autres choses après Lemarque ?

Oui j’ai travaillé avec une nana super, Françoise Kucheida. Elle m’a fait rencontrer plein de chanteurs de la vieille génération, c’est une « transmettrice », elle est là pour pas qu’on oublie ce qu’il y a eu avant dans la chanson française. Elle a aucune prétention, c’est une nana de Liévin, une ch’ti … Elle a fait deux albums, dont un sur lequel on a joué, Fred Loizeau et moi. (Album « Cris du cœur », 1998) Et la pochette de cet album, c’est la photo d’un tournesol de Doisneau, la fille de Doisneau lui a filé gratos, sans droits … c’est génial. Elle a repris « Cri du cœur » de Piaf, que j’ai joué sur la même guitare que l’originale, celle de Crolla. Je me suis éclaté avec elle, je suis allé au Japon, je suis allé jouer pour l’anniv’ de Mitterrand à Château-Chinon, chez Gilbert Mitterrand à la mairie de Libourne … Je suis allé partout avec elle … Dans tous les trucs socialos, elle connaissait toute la gauche caviar, y’avait des mecs sympas d’ailleurs … Ca a duré au moins 3,4 ans avec elle, c’est une nana qui a vachement compté pour moi. Elle avait une assoc’, « Chante appart’ »,qui organisait des concerts dans les appartements. Et d’ailleurs, le premier concert qu’on a fait à trois, Stéphane, Florent et moi, après que Sanseverino ai signé chez Sony, c’était avec cette assoc’, dans l’appartement du fils de Françoise.

Autre chose ?

Oui j’ai joué sur le premier album d’un groupe qui s’appelle « Lo’jo », un groupe fantastique, j’en suis assez fier. C’est des mecs assez barges, ils ont joué dans le désert du Mali … tu vois ils ont un peu une idéologie à la Magma, ils ont leur langue à eux et tout …

Ah le kobaïen de Magma !!! Tu aimes ?

J’adore Magma, je les ai vu 27 fois en concert. Pour la première fois en 1972, avec Francis Moze et tout ça … La première fois que j’ai vu Didier Lockwood il avait 16 ans, il était avec Magma, c’est marrant ! Je suis allé chez Klaus Blasquiz, c’est un personnage extraordinaire lui !

D’ailleurs on a parlé de Gong, de Magma, et de groupes de rock un peu déjantés … ça me fait penser à Ange, tu les as fréquenté ?

Non je les connais pas personnellement, mais tu parles, je les ai vu plein de fois aussi ! J’ai connu Ange avant Brel en fait. J’ai connu « Ces gens là » par Ange avant de la connaître par Brel, super reprise, comme celle d’Arno. Une fois j’ai rencontré leur guitariste qui est d’origine de l’Est, Brézovar, mais Christian Décamp je l’ai jamais rencontré … Au moment où ils ont inventé leur style, « Ange » c’était la réplique en français d’un mélange de « Yes » et des « Contes musicaux fantastiques » de Peter Gabriel … même le son, l’utilisation des nappes de clavier et la théâtralisation du pop rock, mais c’est pas pour les étiqueter bien sûr ! Parce que de toutes les façons en art, tu n’es toujours que le produit de ton époque … Et là y’a une ambiance dans leur son … en 1975 tout le monde était punk !! Ou alors encore en train d’élever des chèvres dans des fermes en province, fallait contre-attaquer, les Clash arrivent avec « Should I stay or should I go » et ça bouscule tout ! …

Justement par rapport à cette « époque », musicalement aujourd’hui tu dirais qu’il manque quoi, s’il manque quelque chose ?

J’ai horreur du plan « c’était mieux avant » et ce genre de trucs … Encore une fois, on est le produit de contingences économiques. Et aujourd’hui du coup ce qu’il manque c’est la liberté. Mais les mecs de mon âge qui ont des avis négatifs sur les jeunes je trouve ça minable, c’est de la connerie ! Le genre « Paris c’était mieux avant » etc… pfff. Les multinationales, l’argent et la professionnalisation des métiers de la musique font que tu as des nouvelles règles qui ont été imposées. Elles laissent moins la part au hasard, au délire, à la création etc … C’est le seul avis que j’ai, je dis pas que c’est mieux ou moins bien …

Et par la suite tu es passé à quoi ?

Ben en même temps que Françoise Kucheida, on avait déjà fondé Merco Swing, qui ne s’appelait pas encore comme ça, à cette époque, le groupe s’appelait les « Roms blancs ». Mais ça avait une connotation bizarre … genre les « noirs blancs », opposer les manouches aux blancs, c’était pas très cool … et puis il y avait surtout un mauvais jeu de mots sur l’alcool !!! Donc on a changé de nom. Au départ le groupe a été fondé par Fred Loizeau et moi, mais c’est ma femme qui a trouvé le nom. Parce que j’avais une Mercedes blanche avec laquelle on tournait toujours. Fred Loizeau est prof de gratte à l’ATLA, et il a aussi composé des chansons super connues, comme « Oui je l’adore » de Pauline Ester etc … C’est le premier mec que j’ai connu en manouche, quand je prenais des cours avec Romane c’était mon voisin, j’avais bien vu qu’il était rock n’roll et tout … Mais il voulait pas me dire qui il était comme compositeur, mais au bout de deux jours je savais qui c’était ! Il sortait de cette histoire très show-biz, premier du Top50 et tout … lui c’est un mec génial, il est passé des plans à 400 balles payés en liquide dans les bars au succès avec Pauline Ester, l’ATLA, puis retour dans les bars … Et moi je suis pareil, je suis prêt a redescendre 4 étages, à part être à la rue, tout le reste c’est bon. D’ailleurs je suis déjà prêt à tout, ça pose aucun souci, j’ai pas de valeurs de réussite établies, je suis pas carriériste. Le truc c’est que t’as juste le droit d’en avoir marre d’être un loser, le droit à la « non-lose » c’est tout. Vivre à 40 dans un squatt pas chauffé … à un moment c’est stop, c’est normal. C’est physiologique, t’as moins froid à 20 ans qu’a 40 passés … Enfin bon. Avec Merco Swing au début on a fait un mini-disque, que j’ai toujours, juste un peu avant la mode manouche, avec déjà Félix Belleau à l’accordéon, et qui a plu. Et on continue toujours à jouer ensemble, par plaisir, sans prétention. D’ailleurs le groupe change toujours, y’a des musiciens qui se rajoutent, saxo, violon … rien n’est prévu, c’est totalement improvisé, on sait jamais ce qu’on va jouer à l’avance … Maintenant y’a Hervé Pouliquen aussi dans le groupe, alors qu’avant il n’y était pas, parce qu’il jouait vachement avec des tziganes russes, on le voyait moins … Même avec Sanseverino on a joué à Moscou, avec Nilda Fernandez, c’était vachement bien, on s’est fendu la gueule là-bas ! Mais il faisait super froid … j’avais la jambe toute raide moi à cause du froid !! (MDR)

Les Roms Blancs

MERCO SWING

On en vient justement à ta rencontre avec Stéphane …

La première fois en fait, on s’est rencontré parce qu’il faisait la première partie des Stepping Stones avec son groupe « Les frères Tamouille ». Il était vert, nous on se la jouait Gun’s N’Roses, mais à Paris ! Entre Gun’s N’Roses et Aérosmith ! J’avais des foulards a pois plein le pied du micro, les cheveux longs et tout !!! Puis après on s’est retrouvé au New-Morning, j’accompagnais un artiste italien. Stéphane m’a prêté des piles et c’est parti comme ça … ensuite il y a eu « Le tango des gens ».

Si il y a un prochain album de Sanseverino tu seras du voyage ?

Je sais pas, je préfère pas te dire. Je sais pas parce que imagine que Stéphane rencontre un mec qui l’éclate ! C’est comme la vie. La musique c’est comme les couples, t’es avec une nana ou un mec, c’est d’enfer, et puis t’as un flash, tu croises quelqu’un qui t’emmène ailleurs … Y’a aucun mépris pour la personne avec qui t’étais avant, y’a aucun problème de mieux ou de moins bien. Et lui c’est comme une histoire d’amour, il se trouve qu’il a fait des trucs géniaux avec moi pendant X temps, et pourquoi il aurai pas le droit d’aller voir ailleurs ? Moi je fonctionne comme ça … et j’ai pas de fierté en plus. J’en ai, mais pour moi, j’aime pas me planter, jouer mal et tout ça … Tu vois par exemple là Stéphane, il fait 10 jours à la maroquinerie avec d’autres gens, et si il y a vraiment un mec dans la bande qui voit ça d’une manière positive et qu’en a rien à foutre c’est bien moi ! Au contraire je trouve ça génial, je suis assez partageur.

Le succès avec Sanseverino t’a-t-il permis de faire des trucs que tu pouvais pas avant ?

Non. Parce que j’ai pas le temps déjà. Et puis tu sais à la limite quand tu joues avec quelqu’un qui est connu parfois ça te dessert un peu. Plus personne ne t’appelle. Les mecs se disent : « appeler Hervé mais c’est du délire ! ». Tu sais j’ai connu des tas de gens qui accompagnaient des gens plus connus que Stéphane et qui sont dans une merde noire aujourd’hui … alors faut se méfier. Le rapport n’est pas systématique, mais bien sûr à l’inverse ça peut être génial aussi ! Mais bon, on m’a quand même appelé pour faire des cours de gratte à la Starac’ juste parce que je suis avec Sanseverino !!! Je l’ai pas fait mais bon ….

Sérieux ? La Starac’ ? Mais c’est fou ça !

Ouais ! Remarque tellement je suis con des fois, et que je regarde pas la télé, que je commençais à dire oui … pis je me suis dis : « ha mais non c’est la Starac’ ! »

MDR. Genre : « Ah oui c’est sur ma liste des télés qu’il faut pas faire : Popstar, Starac etc. … »

Exactement ! « Ah oui merde c’est le truc qu’il faut pas faire » !!! MDR. Je suis obligé de me le dire trois fois tellement je fais pas gaffe moi … tu sais encore une fois moi je me laisse porter par les trucs ….

Et en ce moment tu te laisses porter par quoi ?

J’aime bien avoir du temps pour me retrouver moi-même … En ce moment j’écris beaucoup de chansons pour plusieurs personnes … J’ai envie d’avoir des chansons, des trucs qui soient chantés et que j’ai composé …

Et toi t’as pas envie de chanter ? Parce que dans le DVD y’a un bel effet de voix de ta part dans les loges !

Chanter non … (MDR) C’est des conneries ça dans les loges … pour déconner. J’étais choriste d’opéra et d’opérette alors de temps en temps … Et puis en fait moi j’ai rien à dire en chanson. D’abord je sais pas écrire de texte … j’ai des idées mais pas de texte. Je suis compositeur, pas auteur.

Bon, on va en parler quand même … la Victoire de la Musique ça t’a fait quoi ?

C’est pas moi qui l’ai eu c’est Stéphane !

Ben c’est vous quoi … il chante pas tout seul avec personne derrière …

En fait les Victoires de la Musique c’est un peu comme tous les trucs bien qui t’arrivent dans la vie, au bout d’un moment quand il en arrive plein, on a la mémoire courte, à la limite on a tendance à banaliser … La seule chose que je banalise pas c’est la chance que j’ai de faire ce que je fais.

Tu pourrais dire comme on l’entend parfois que c’est une « consécration, être reconnu par ses pairs etc… » ?

Non c’est naze. Dans les pairs y’a des gens bien et des gros tocards aussi. Donc bon … Par contre dire je m’en fous en allant la chercher c’est pas très classe … Si tu dis « je m’en fous » comme les Bérus, que tu fais Fuck et que t’y vas pas, t’as le droit. Si tu t’en branles, faut t’en branler à fond quoi ! Par exemple, c’est pas parce que c’est mon pote, mais Stéphane dans le DVD il est honnête tu vois, en disant que c’est pas vrai qu’il s’en fout pas.

Justement à propos du DVD, tout le monde trouve qu’il transpire la sincérité, ça ne sent pas le truc coupé, trié … nous ce qu’on a ressenti en tant qu’acheteurs, parce que c’est ce qu’on est quand même, (Hervé : bien sûr, un DVD c’est un produit !) c’est que vous nous avez donné beaucoup, tout est nature et c’est ça qui est génial …

Ben nous on est comme ça ! C’est un peu la consistance de cette bande de mecs de Sanseverino … Par contre moi j’aime pas l’image, je suis pas de la génération de l’image. J’ai jamais eu la télé, j’écoute pas la radio même, j’achète des CD et des vinyles. Et maintenant tout est en DVD ! Je vois les mômes à la maison ils ramènent tout et n’importe quoi en DVD. Tout est du visuel, et ça, ça me fait chier. Parce qu’après à la fin t’es là : « ouais c’est pas mal mais on voit pas assez machin … » je m’en branle ! Je veux dire j’ai pas besoin d’avoir de support visuel, mais ça c’est personnel, c’est ma culture, j’aime pas la pub, les jeux vidéos, le visuel … c’est pas mon truc …

Ben pour nous c’est chouette d’entendre parler les gens à qui on file nos thunes en CD et en concerts, c’est génial de les découvrir et de les entendre à la cool entre eux … et pas chez Drucker !

Ah ben ok, oui c’est sûr ! C’est vrai qu’on est nature sur le DVD, rien n’est coupé. Moi j’ai rien à cacher, alors on montre tout ce qu’on a à montrer.

Aujourd’hui tu penses pouvoir, ou vouloir encore rechanger d’orientation musicale ?

Oui pourquoi pas … Mais j’ai pas de projet défini dans ce sens tu vois. En fait c’est comme un instinct, des fois j’achète le matos nécessaire à un truc, bien avant de le faire, de l’utiliser. Par exemple, bien avant de faire du manouche, j’étais sur l’autoroute et je vois le panneau de la ville de Cognac, je tilte que c’est là qu’il y a les guitares Dupont. Je sors, je prend un p’tit hôtel pour attendre l’ouverture et le lendemain j’y suis allé. Il en restait plus qu’une à vendre, j’ai dis « je m’en fous c’est celle là que je veux », c’était pas prévu. Alors je donne une avance au mec pour qu’il me la garde jusqu’en septembre. Je me rappelle à l’époque j’étais dans la merde et j’y suis retourné avec ma mère qui m’avait prêté sa caisse, et elle m’avait dit : « tu verras cette guitare elle va te faire gagner de l’argent » … pas être riche tu vois, mais me sortir de la merde … Ben c’est la mienne hein, celle que j’ai toujours…

Et l’avenir ?

J’ai des projets … mais encore une fois, en me laissant porter quoi … au feeling. Le seul truc c’est que j’ai un peu plus peur d’être pauvre qu’il y a 10 ans. Parce que tout est cruel, c’est pas de ma faute. Le capital n’a jamais été aussi hargneux, méchant, jamais eu autant une politique d’exclusion. D’années en années le flip de terminer clodo quand t’es artiste … avant on disait ça pour rire mais maintenant c’est en vrai. Les potes qui ont pas de boulot, rien dans le portefeuille et qui étaient au top avant c’est pas dans les bouquins, c’est en vrai. C’est le seul truc qui me fait peur. Autant le RMI à 35 ans j’en avais rien à foutre, j’avais une énergie physique monstrueuse, mais le RMI à 70 ans ça risque d’être dur, pour se bastonner quoi … C’est un peu ma seule angoisse. Et pis la liberté que ça procure d’être à l’abri financièrement pour quelques années, pas riche, juste à l’abri. Je sais pas si c’est aussi le fait de vieillir mais … Il y a des contingences économiques qui font que la notion de projet est différente. Avant j’aurais jamais pensé à des projets, un bon squatt et du matos pourri et c’était bon ! Mais bon, ça suit … je vois la génération de mon fils c’est vachement bien ce qu’ils font, y’a des rencontres … je verrai … peut être faire des trucs avec du sang neuf. Tu vois l’autre jour on a fait un bœuf avec un petit groupe de swing, ils faisaient notre deuxième première partie à Narbonne. J’ai fait de la guitare électrique sur du swing et j’ai eu un flash tu vois ! J’ai vraiment envie de faire de la gratte électrique, j’ai pris la Gibson c’était génial ! J’ai envie de ça là en ce moment … pour résumer j’ai envie de mélanger ma culture rock et ma culture manouche … avec une once d’éléctro !

Hervé Legeay








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